Comment traiter une douleur neuropathique ?
Pour identifier un syndrome douloureux d’origine neuropathique, le kinésithérapeute doit répondre à la question suivante : Existe-t-il une composante neurale liée à la plainte du patient ?
Pour ce faire, le professionnel de santé doit se mettre dans la peau d’un véritable enquêteur. Par exemple, si le patient se plaint de paresthésie, il est alors judicieux de s’aventurer sur le terrain de la douleur neuropathique. Cependant attention, 4 à 12 % des radiculopathies peuvent être asymptomatiques.
Raisonnement clinique et bilan kinésithérapique
En kinésithérapie, le bilan diagnostique s’effectue en 4 étapes : Interrogatoire, Inspection et palpation, Bilan des déficiences et Bilan des incapacités
Dans chacune de ces étapes, le kinésithérapeute doit se poser la question suivante : quels éléments valident l’hypothèse d’une composante neurale à la plainte du patient ? Plus il y aura d’éléments en cette faveur, plus le diagnostic d’un syndrome douloureux d’origine neuropathique pourra être établi. Il est donc important de collecter des signes à fortes précisions diagnostiques, même si selon l’IASP le DN4 permet à lui seul de diagnostiquer une douleur neuropathique.
Le praticien doit cependant rester vigilant car les études d’Annina Schmid démontrent que « l’utilisation des dermatomes pour poser un diagnostic semblent dépassé ». Dans certains cas, il suffit de quelques jours pour qu’une inflammation sur les ganglions rachidiens se développe après une atteinte nerveuse périphérique. Le kinésithérapeute devra donc désensibiliser cette zone par des techniques de rééducation adaptées en fonction du bilan effectué.
Pour évaluer une douleur neuropathique, le questionnaire DN4 est donc un excellent outil diagnostique. Si son résultat est supérieur à 4/10, la composante neuropathique dans l’apparition de la douleur du patient est avérée. Si son résultat est inférieur à 4/10, il s’agit alors d’une douleur de sensibilisation nerveuse périphérique. Dans ce cas, la physiopathologie diffère mais le traitement reste le même. Outre le type de douleur, la localisation peut également nous aider à diagnostiquer une composante neuropathique. Au cours de l’interrogatoire, l’utilisation du Body Chart permettra au patient d’indiquer les zones douloureuses et au kinésithérapeute d’identifier leurs origines. Si un trajet précis est déterminé, cela permettra d’investiguer un nerf en priorité. Les drapeaux rouges seront également évalués.
L’Échelle Visuelle Analogique (EVA) permet ensuite de mesurer l’intensité de la douleur et de relever les zones dans lesquelles elle irradie. Après ces observations, le kinésithérapeute complète son diagnostic avec un screening de la position antalgique du patient (test standard actif) et une palpation du nerf douloureux le long de son trajet. En complément, le praticien peut également réaliser l’Arm Squeeze Test pour différencier une radiculopathie d’un problème d’épaule.
Pour les déficiences, un check-up articulaire le long du trajet du nerf investigué est réalisé. Le kinésithérapeute évalue la douleur via le test standard. En fonction des auteurs, l’exécution de ce test peut différer, mais, dans tous les cas, l’ordre des séquences ne modifie pas la tension du nerf. Si le test standard est négatif, il ne faut pas totalement exclure la possibilité d’une composante neurale. En effet, dans certains stades avancés de lésions neurales, le test standard peut se révéler négatif. Le kinésithérapeute devra alors réaliser le test de la pièce (chaud et froid) pour compléter son diagnostic. Pour évaluer les incapacités, le thérapeute réalise
le questionnaire du Quick Dash, plus précis et complémentaire, notamment dans la
prise en charge des douleurs cervico-scapulo-brachiale.
Le bilan diagnostic des syndromes douloureux d’origine neuropathique peut être résumé par un algorithme décisionnel (figure 1). Dans les pathologies musculosquelettiques, évaluer le tissu neural est important mais le kinésithérapeute ne doit pas occulter les dysfonctions articulaires. Ces dégénérescences vont altérer le trajet du nerf en augmentant son irritabilité. Les résultats du bilan orienteront le praticien vers une douleur neuropathique et pourront également parfois lui permettre de déceler une douleur nociplastique (traitée en parallèle si nécessaire). La rééducation kinésithérapique permettra ensuite de corriger la ou les dysfonctions articulaires et un traitement avec des techniques neurales soulagera la douleur.
Traitement kinésithérapique et techniques neurales
Malgré les données scientifiques amenées par Wolny ou Fernandez de la Penas, les preuves récentes sur le traitement des syndromes douloureux d’origine neuropathique sont rares (JOSPT guide clinique, 2019). Les traitements proposés actuellement se basent sur une vision biomécanique et se centrent uniquement sur une zone anatomique précise.
Les travaux d’Annina Schmit démontrent qu’une inflammation du nerf peut remonter au ganglion rachidien en seulement quelques heures et peut donc générer des douleurs dans une zone extraterritoriale. Il est ainsi judicieux d’analyser la situation d’une vision globale, en traitant le nerf dans son ensemble. Le kinésithérapeute doit sortir du modèle biomécanique et s’inscrire dans une réelle vision biopsychosociale. L’aspect biopsychosocial sera traité tout au long de la prise en charge du patient et dès l’interrogatoire (« Dites-moi qu’est-ce qui vous amène ? »). A la suite du bilan clinique, le traitement kinésithérapique se déroulera en 4 étapes :
- Correction des dysfonctions articulaires
- Massage de l’épinèvre
- Mobilisation neurale
- Auto-traitement
La correction des dysfonctions articulaires s’effectue à l’aide de mobilisations spécifiques des articulations traversées par le nerf. Ces manipulations permettront de limiter au maximum les zones de rétraction du collagène, la sur sollicitation et l’inflammation. La mobilité neurale sera ainsi améliorée.
Le massage de l’épinèvre s’effectue en suivant le trajet du nerf. Le kinésithérapeute doit commencer la palpation à distance du site des paresthésies et ne doit pas masser les zones provoquant une douleur moyenne ou intense. Le massage améliore le « bed nerve », la vascularisation du nerf et diminue la sensibilité à la douleur.
La mobilisation neurale débute ensuite par la « technique en va et vient ». Cette méthode permet au praticien d’acquérir progressivement la confiance et l’adhésion du patient au traitement. Le glissement neural s’effectue sur chaque articulation et les mouvements sont quantifiés. Une progression doit être réalisée au fur et à mesure des séances. Ce glissement, moins agressif que l’étirement, permet d’améliorer le bed nerve, de diminuer l’inflammation et favorise la circulation extra neurale. Des techniques spécifiques sont aussi proposées pour les douleurs cervicales et les patients « irritables ».
L’étirement du nerf n’est pas proscrit mais cette manipulation doit être guidée selon certains principes : non-douleur, test standard négatif, etc. Il favorise la circulation intra neurale, la mobilité des fascicules nerveux les uns par rapport aux autres et réduit la stase circulatoire et l’œdème intra neural. Cependant, cet étirement ne doit pas être réalisé systématiquement. Il faut l’entrevoir comme une acceptation progressive de la tolérance du nerf à l’étirement, pour faire face aux contraintes de la vie quotidienne, aux contraintes du travail et aux contraintes du geste sportif. Enfin, la phase d’auto-traitement doit être enseignée au patient dès les premières séances, de façon à le rendre autonome et à stabiliser les résultats sur le long terme.
A ce jour, la prise en charge des douleurs neuropathiques par les kinésithérapeutes reste encore difficile. Le bilan kinésithérapique ne doit pas s’appuyer uniquement sur le questionnaire DN4 et/ou sur la réalisation du test standard. Une prise en charge globale du nerf, tout au long de son trajet, est novatrice et ne s’arrête pas seulement à une zone diagnostiquée. En prenant compte des connaissances actuelles, le praticien doit favoriser la mobilité du nerf en éliminant les dysfonctions articulaires qui modifient les contraintes. Il est fondamental d’intégrer le model psychosocial à cette prise en charge.
Auteur : Paul Albert Terrasse